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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Canada c. GlaxoSmithKline Inc., 2012 CSC 52, [2012] 3 R.C.S. 3

Date : 20121018

Dossier : 33874

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante/Intimée au pourvoi incident

et

GlaxoSmithKline Inc.

Intimée/Appelante au pourvoi incident

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 77)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

 

 

 


 


Canada c. GlaxoSmithKline Inc., 2012 CSC 52, [2012] 3 R.C.S. 3

Sa Majesté la Reine                                           Appelante/Intimée au pourvoi incident

c.

GlaxoSmithKline Inc.                                        Intimée/Appelante au pourvoi incident

Répertorié : Canada c. GlaxoSmithKline Inc.

2012 CSC 52

No du greffe : 33874.

2012 : 13 janvier; 2012 : 18 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit fiscal ― Impôt sur le revenu ― Prix de transfert ― Fabrication et distribution par un contribuable d’un médicament breveté et portant une marque de commerce en vertu d’un contrat de licence ― Achat par le contribuable d’un ingrédient pharmaceutique actif en vertu d’un contrat de fourniture distinct conclu avec une société affiliée non‑résidente ― Établissement par le ministre du Revenu national d’une nouvelle cotisation visant le contribuable et ayant pour effet d’augmenter le revenu de celui‑ci parce qu’il aurait versé à un fournisseur avec lequel il a un lien de dépendance une somme trop élevée pour acheter l’ingrédient d’un médicament ― Défaut par le ministre de tenir compte de l’incidence du contrat de licence sur le caractère raisonnable du prix payé pour l’ingrédient aux termes du contrat de fourniture ― Quelles sont les circonstances à prendre en compte dans la détermination du prix raisonnable de pleine concurrence avec lequel peut être comparé le prix de transfert qui n’a pas été établi dans des conditions de pleine concurrence? ― Le contrat de licence est‑il une circonstance dont il faut tenir compte? ― La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle eu tort de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt pour nouvelle audience et réexamen? ― Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .), art. 69(2).

                    De 1990 à 1993, l’intimée, GlaxoSmithKline Inc. (« Glaxo Canada »), a acheté de la ranitidine — l’ingrédient pharmaceutique actif d’un médicament antiulcéreux commercialisé sous la marque nominale Zantac — de Adechsa S.A., une société affiliée non‑résidente, à des prix variant entre 1 512 $ et 1 651 $ le kilogramme.  Durant la même période, deux sociétés pharmaceutiques canadiennes fabriquant des produits génériques, à savoir Apotex Inc. et Novopharm Ltd., ont acheté auprès de fournisseurs avec lesquels elles n’avaient pas de lien de dépendance de la ranitidine à des prix variant entre 194 $ et 304 $ le kilogramme pour leurs médicaments antiulcéreux génériques.

                    Un contrat de licence concédait à Glaxo Canada certains droits et avantages et un contrat de fourniture fixait les prix de transfert de la ranitidine.  L’effet combiné du contrat de licence et du contrat de fourniture permettait entre autres à Glaxo Canada d’acheter de la ranitidine, de la soumettre à un processus permettant son administration et de la commercialiser sous la marque de commerce Zantac.

                    L’appelant, le ministre du Revenu national, a établi à l’égard de Glaxo Canada de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993, en vertu de la version applicable alors du par. 69(2) de la Loi (maintenant le par. 247(2)), parce que les prix payés par cette société pour se procurer de la ranitidine étaient plus élevés que ceux qui auraient été raisonnables dans les circonstances si elle n’avait pas eu de lien de dépendance avec son fournisseur.  Glaxo Canada a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt, qui a confirmé la nouvelle cotisation, sauf pour un ajustement mineur, au motif que le contrat de licence et le contrat de fourniture devaient être examinés séparément.  La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la Cour de l’impôt pour nouvelle détermination du « montant raisonnable » payable dans le cas des opérations effectuées par Glaxo Canada pour acquérir de la ranitidine.

                    Arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

                    Le paragraphe 69(2) oblige le tribunal à déterminer si le prix de transfert était supérieur au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si les parties n’avaient eu aucun lien de dépendance entre elles.  S’il existe des opérations autres que l’achat qui sont pertinentes pour trancher cette question, elles ne doivent pas être négligées.  Le paragraphe 69(2) ne donne pas en soi d’indications sur la façon de déterminer le « montant raisonnable » qui aurait été payable si les parties n’avaient eu aucun lien de dépendance.  Les Principes de 1979 de l’OCDE ainsi que les Principes de 1995 de cette même organisation n’ont pas la même force contraignante qu’une loi canadienne.  En revanche, ils proposent un certain nombre de méthodes pour déterminer si des prix de transfert sont compatibles avec ceux dont ont convenu des parties n’ayant aucun lien de dépendance.

                    Pour bien appliquer le principe de pleine concurrence, il est nécessaire de tenir compte des « caractéristiques économiques » des opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance pour s’assurer que ces caractéristiques sont « suffisamment comparables ».  Lorsqu’il n’y a pas d’opération liée, ou lorsque les opérations liées ne sont pas pertinentes dans la détermination du caractère raisonnable du prix en cause, la méthode transaction par transaction peut convenir.  Toutefois, « les caractéristiques économiques des situations prises en compte » peuvent rendre nécessaire l’examen d’autres opérations ayant une incidence sur le prix de transfert en cause.  Dans chaque cas, il est nécessaire d’aborder cette question à la lumière des circonstances pertinentes et, au besoin, d’autres opérations que les opérations d’achat pourraient devoir être prises en compte.

                    Parmi ces circonstances, mentionnons les ententes susceptibles de conférer des droits et des avantages en sus du bien acheté, lorsque ces ententes sont liées au contrat d’achat.  L’objectif de cet examen consiste à déterminer ce qu’un acheteur sans lien de dépendance paierait à la fois pour le bien et pour de tels droits et avantages lorsqu’il existe un lien entre ceux‑ci et le prix payé pour le bien en question.  Toutefois, la fixation de prix de transfert n’est pas une science exacte et, comme il est fort peu probable que, quelle que soit la situation comparable choisie, celle‑ci présente des circonstances identiques, le tribunal devra exercer un jugement éclairé pour établir un prix de pleine concurrence satisfaisant.

                    En l’espèce, une partie des prix d’achat versés par Glaxo Canada à Adechsa pour la ranitidine servait de contrepartie pour au moins certains des droits et avantages conférés par le contrat de licence.  Par conséquent, le tribunal ne pouvait pas faire abstraction du contrat de licence lorsqu’il déterminait le montant raisonnable qui devait être payé à Adechsa au sens du par. 69(2), lequel s’applique non seulement aux paiements faits pour des biens mais également à ceux faits pour des services.  L’examen corrélatif du contrat de licence et du contrat de fourniture permet de brosser un tableau réaliste des bénéfices réalisés par Glaxo Canada.  Les prix payés par Glaxo Canada à Adechsa l’étaient en contrepartie d’un ensemble de choses, à savoir au moins un certain nombre de droits et avantages prévus par le contrat de licence et le produit visé par le contrat de fourniture.  Les comparaisons faites par la Cour de l’impôt avec les fabricants de produits pharmaceutiques génériques ne correspondent pas à la réalité économique et commerciale de Glaxo Canada et, à tout le moins à défaut d’ajustements, ne permettent pas de déterminer si le prix qui aurait été raisonnable dans les circonstances si Glaxo Canada et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance.  C’est uniquement après avoir dégagé les circonstances relatives au contrat de licence qui peuvent être rattachées au contrat de fourniture que des comparaisons au regard de situations de libre concurrence peuvent être effectuées au moyen de l’une ou l’autre des méthodes proposées par l’OCDE, ou de toute autre méthode.

                    L’hypothèse suivant laquelle les prix que Glaxo Canada a payés pour se procurer de la ranitidine étaient plus élevés que ceux qui auraient été raisonnables dans les circonstances si Adechsa et elle n’avaient pas eu de lien de dépendance entre elles n’a pas été démolie.  Comme a conclu la Cour d’appel fédérale, l’affaire doit être renvoyée à la Cour de l’impôt pour qu’elle réexamine la question en tenant compte de l’incidence du contrat de licence sur les prix payés par Glaxo Canada pour se procurer de la ranitidine auprès d’Adechsa.  C’est à la Cour de l’impôt qu’il appartiendra de décider s’il est justifié ou non en l’espèce de reconnaître l’existence d’une contrepartie pour les droits de propriété intellectuelle.

Jurisprudence

                    Distinction d’avec les arrêts : Singleton c. Canada, 2001 CSC 61, [2001] 2 R.C.S. 1046; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; arrêts mentionnés : Gabco Ltd. c. Minister of National Revenue (1968), 68 D.T.C. 5210; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336.

Lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 17(3).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 17(3) [abr. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 1], 69(2) [aj. idem].

Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 11(1).

Loi de 1997 modifiant l’impôt sur le revenu, L.C. 1998, ch. 19, art. 107, 238.

Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, art. 23B [aj. 1939, ch. 46, art. 13].

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .), art. 20(1)c)(i), 69(2) [abr. 1998, ch. 19, art. 107], 212(1)d), 215(1), 247(2) [aj. idem, art. 238].

Loi modifiant la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.C. 1939, ch. 46, art. 13.

Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, effectuant certains changements et introduisant certaines dispositions dans la législation relatifs ou consécutifs aux modifications apportées à la présente loi, L.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 1.

Doctrine et autres documents cités

Organisation de Coopération et de Développement Économiques.  Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales.  Paris : L’Organisation, 1995.

Organisation de Coopération et de Développement Économiques.  Prix de transfert et entreprises multinationales : Rapport du Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE.  Paris : L’Organisation, 1979.

                    POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Nadon, Layden‑Stevenson et Stratas), 2010 CAF 201, 405 N.R. 307, 2010 D.T.C. 5124, [2010] 6 C.T.C. 220, [2010] A.C.F. no 953 (QL), 2010 CarswellNat 5563, qui a infirmé une décision du juge en chef adjoint Rip, 2008 CCI 324, 2008 D.T.C. 3957, [2008] A.C.I. no 249 (QL), 2008 CarswellNat 6307.  Pourvoi et pourvoi incident rejetés.

                    Wendy Burnham, Eric Noble et Karen Janke‑Curliss, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.

                    Al Meghji, Joseph M. Steiner, Amanda Heale et Pooja Samtani, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident.

                    Version française de jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Rothstein —

I.       Introduction

[1]                              Lorsque des entités faisant partie de sociétés multinationales résidant dans divers pays se transfèrent des biens ou se fournissent des services réciproquement, il peut se soulever des questions relativement à l’établissement des prix de transfert ou de fourniture.  En effet, de telles entités n’agissent pas sans lien de dépendance et, de ce fait, les opérations ou transactions qu’elles effectuent entre elles ne sont pas forcément soumises aux forces ordinaires du marché.  Lorsque ces forces ne jouent pas, il peut arriver que les prix soient fixés de manière à soustraire des bénéfices aux administrations fiscales compétentes.  Or, depuis 1939, la Loi de l’impôt sur le revenu  comporte des dispositions qui permettent d’établir, à l’égard d’un contribuable canadien, une nouvelle cotisation tenant compte, dans les bénéfices qu’il a réalisés au Canada, de la différence entre le prix qu’il a payé pour acquérir un bien d’un non‑résident avec lequel il a un lien de dépendance et celui qu’il aurait payé en l’absence d’un tel lien.

[2]                              Le ministre du Revenu national a établi à l’égard de GlaxoSmithKline Inc. (« Glaxo Canada ») de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993, en vertu de la version applicable alors du par. 69(2)  de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .) (la « Loi  »), au motif que les prix payés par cette société pour se procurer de la ranitidine — l’ingrédient actif du médicament antiulcéreux Zantac — auprès d’un fournisseur avec lequel elle avait un lien de dépendance étaient plus élevés que ceux qui auraient été raisonnables dans les circonstances s’ils n’avaient pas eu ce lien de dépendance (le par. 69(2) de la Loi a été abrogé en 1998 (L.C. 1998, ch. 19, art. 107) et remplacé par le par. 247(2)  de la Loi  (aj. idem, art. 238)).  La nouvelle cotisation a eu pour effet d’augmenter le revenu de Glaxo Canada d’une somme correspondant à la différence entre le prix le plus élevé payé pour la ranitidine par des sociétés pharmaceutiques fabriquant des produits génériques et celui payé par Glaxo Canada. Cette dernière a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt.  Le juge en chef adjoint Rip (maintenant juge en chef) a confirmé la nouvelle cotisation, sauf pour un ajustement mineur.  Glaxo Canada a fait appel de ce jugement à la Cour d’appel fédérale, qui lui a donné gain de cause et a renvoyé l’affaire à la Cour de l’impôt pour réexamen.  Le ministre se pourvoit contre cette décision devant notre Cour.

[3]                              La question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir comment il convient d’appliquer le par. l'é69(2) et, en particulier, quelles sont les circonstances à prendre en compte dans la détermination du prix raisonnable de pleine concurrence avec lequel peut être comparé le prix de transfert qui n’a pas été établi dans des conditions de pleine concurrence.  Glaxo Canada a formé un pourvoi incident contre la décision de la Cour d’appel fédérale renvoyant l’affaire à la Cour de l’impôt pour nouvelle audience et réexamen.  Glaxo Canada soutient que si notre Cour déboute le ministre de son pourvoi, l’affaire ne devrait pas être renvoyée à la Cour de l’impôt, étant donné que Glaxo Canada aurait alors réfuté avec succès les hypothèses formulées par le ministre, s’acquittant ainsi pleinement du fardeau imposé à tout contribuable qui interjette appel d’une nouvelle cotisation.  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter à la fois le pourvoi et le pourvoi incident.

II.     Les faits

[4]                              De 1990 à 1993, l’intimée, Glaxo Canada, a acheté de la ranitidine — l’ingrédient pharmaceutique actif d’un médicament antiulcéreux commercialisé sous la marque nominale Zantac — de Adechsa S.A., une société affiliée non-résidente, à des prix variant entre 1 512 $ et 1 651 $ le kilogramme.  Durant la même période, deux sociétés pharmaceutiques canadiennes fabriquant des produits génériques, à savoir Apotex Inc. et Novopharm Ltd., ont acheté auprès d’autres fournisseurs de la ranitidine à des prix variant entre 194 $ et 304 $ le kilogramme pour leurs médicaments antiulcéreux génériques.

[5]                              Au cours de la période pertinente, Glaxo Canada était une filiale à 100 p. 100 de Glaxo Group Ltd. (le « groupe Glaxo »), lui-même une filiale à 100 p. 100 de Glaxo Holdings plc, une société du Royaume‑Uni. En plus d’être propriétaire de Glaxo Canada, le groupe Glaxo était la société mère d’autres sociétés, qui s’occupaient de recherche, de développement, de fabrication et de commercialisation de divers produits pharmaceutiques d’origine.  Ces produits étaient ensuite soumis à un processus permettant leur administration sous forme de comprimés, de liquide ou de gel, puis ils étaient commercialisés et vendus partout dans le monde par l’entremise de filiales comme Glaxo Canada ou de distributeurs indépendants sans lien de dépendance.

[6]                              Au cours des années d’imposition en cause, Glaxo Canada agissait comme fabricant et distributeur secondaires, c’est-à-dire qu’elle se procurait l’ingrédient pharmaceutique actif, la ranitidine, le soumettait à un processus permettant son administration, puis l’emballait et le commercialisait sous le nom de Zantac, un médicament breveté et portant une marque de commerce qui est utilisé pour traiter les ulcères d’estomac.  Le groupe Glaxo était propriétaire de la marque de commerce Zantac et du brevet portant sur son ingrédient actif, la ranitidine.  Aux termes d’un contrat de licence, il accordait à Glaxo Canada certains des droits liés au brevet et à la marque de commerce.  Glaxo Canada achetait sa ranitidine de Adechsa, une société suisse de distribution du groupe Glaxo, en vertu d’un contrat de fourniture.

[7]                              Les deux contrats en question sont au cœur du présent pourvoi.  Le contrat de licence a concédé à Glaxo Canada les droits et avantages suivants :

1.                           le droit conféré par les brevets de fabriquer, d’utiliser et de vendre les produits du groupe Glaxo (al. 3(1)a));

2.                           le droit exclusif d’utiliser les marques de commerce appartenant au groupe Glaxo, y compris la marque Zantac (al. 3(1)b));

3.                           le droit d’obtenir de l’assistance technique pour ses besoins touchant la fabrication secondaire (par. 3(4));

4.                           l’utilisation des documents d’enregistrement préparés par le groupe Glaxo, lesquels devaient être adaptés pour le Canada et soumis à la Direction générale de la protection de la santé (par. 4(2));

5.                           l’accès à de nouveaux produits, y compris un élargissement de la gamme de produits (par. 4(1));

6.                           l’accès aux inventions ou aux améliorations touchant les médicaments existants (par. 6(1));

7.                           le droit à ce qu’une société du groupe Glaxo World vende à Glaxo Canada quelque matière première ou produit en vrac (par. 7(1));

8.                           l’appui à la commercialisation par divers moyens — documents de promotion, littérature médicale, données d’études de marché et tout autre renseignement pouvant faciliter la mise en marché des produits (par. 10(1));

9.                           l’indemnisation des dommages-intérêts découlant d’actions en contrefaçon de brevet ou de marque de commerce (par. 13(2));

10.                       de l’assistance technique pour établir de nouvelles gammes de produits dans les installations de fabrication de Glaxo Canada (par. 4(3));

11.                       si la marque de commerce originale d’un nouveau produit ne pouvait être enregistrée ou si d’autres marques de commerce étaient nécessaires, l’engagement du groupe Glaxo à entreprendre les démarches nécessaires (par. 4(4));

12.                       la possibilité pour Glaxo Canada de concéder une sous‑licence relativement à tout nouveau produit obtenu d’un tiers par le groupe Glaxo (par. 5(1));

13.                       en ce qui concerne les produits de tiers, la fourniture par le groupe Glaxo de tout renseignement utile pour l’approbation des produits par la Direction générale de la protection de la santé du Canada (par. 5(2));

14.                       l’engagement par le groupe Glaxo à faire le nécessaire pour assurer la transmission à Glaxo Canada des renseignements techniques se rapportant aux produits de tiers (par. 5(4)).

[8]                              Suivant le contrat de fourniture, le groupe Glaxo a fixé les prix de transfert de l’ingrédient actif, la ranitidine, en appliquant la méthode du prix de revente, méthode que le juge en chef adjoint Rip a décrite ainsi :

                           Glaxo World a utilisé ce qui est connu sous le nom de méthode du prix de revente en vue de fixer le prix de transfert de l’IPA [ingrédient pharmaceutique actif]. Glaxo World et ses distributeurs s’étaient entendus pour que les distributeurs conservent une marge brute de 60 p. 100 et ils avaient fixé le prix de la ranitidine en conséquence.  Il est possible d’illustrer la chose au moyen d’un exemple fort simple : si le produit à base de ranitidine coûtait dix dollars en Italie, le prix de transfert était de quatre dollars; si le produit à base de ranitidine coûtait vingt dollars en France, le prix de transfert s’élevait à huit dollars.  L’avocat de l’appelante a décrit le processus en ces termes :

                           [traduction]

                              le point de départ aux fins de la détermination du prix pour le distributeur était le prix de détail du produit à base de ranitidine fini;

                              à partir du prix de détail, les parties s’entendaient, à supposer que des conditions précises soient remplies, sur la marge bénéficiaire brute que le distributeur devait conserver (soit environ 60 p. 100);

                              le restant était remis à Glaxo Group sous la forme de prix de transfert, de redevances [ou des deux].  Lorsque le distributeur devait payer à la fois un prix de transfert et des redevances, il était tenu compte tant du prix que de la redevance pour déterminer la marge bénéficiaire brute du distributeur une fois la redevance payée.  [par. 47]

                       (2008 CCI 324 (CanLII))

L’application de cette méthode s’est traduite par des prix excédant 1 500 $ le kilogramme dans le cas de la ranitidine achetée par Glaxo Canada à Adechsa.  L’effet combiné du contrat de licence et du contrat de fourniture permettait entre autres à Glaxo Canada d’acheter l’ingrédient actif, la ranitidine, de le soumettre à un processus permettant son administration et de le commercialiser sous la marque de commerce Zantac.

[9]                              Au cours des années d’imposition en cause, deux fabricants canadiens de produits pharmaceutiques génériques, Apotex et Novopharm, vendaient des produits pharmaceutiques antiulcéreux génériques au Canada.  Ces sociétés se procuraient auprès de fournisseurs avec lesquels elles n’avaient pas de lien de dépendance de la ranitidine à des prix inférieurs à ceux payés par Glaxo Canada, soit entre 194 $ et 304 $ le kilogramme.  Rien n’indique que les contrats de fourniture d’Apotex ou de Novopharm leur conféraient quelque autre avantage que la ranitidine.

[10]                          Ces fabricants de médicaments génériques étaient en mesure de commercialiser des versions génériques de médicaments dont le brevet était toujours en cours de validité en raison du régime des licences obligatoires auquel tous les produits pharmaceutiques étaient assujettis au Canada jusqu’en février 1993 (Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2).  Ce régime permettait de commercialiser et de vendre au Canada des versions génériques de produits pharmaceutiques brevetés moyennant paiement de redevances aux titulaires des brevets.  Comme les licences octroyées à Apotex et à Novopharm étaient antérieures au 20 décembre 1991, elles sont demeurées valides malgré l’abrogation du régime des licences obligatoires en février 1993 (aj. idem, par. 11(1)).

[11]                          Le ministre a établi à l’égard de Glaxo Canada de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993, augmentant le revenu de celle-ci d’environ 51 millions de dollars en vertu du par. 69(2)  de la Loi , au motif qu’elle avait versé à Adechsa une somme plus élevée que le montant qui aurait été raisonnable pour acheter la ranitidine.

III.    Cour canadienne de l’impôt, 2008 CCI 324 (CanLII) (le juge en chef adjoint Rip)

[12]                          Le juge en chef adjoint Rip a confirmé la nouvelle cotisation établie par le ministre.  Il a conclu que l’arrêt Singleton c. Canada, 2001 CSC 61, [2001] 2 R.C.S. 1046, exigeait un examen séparé du contrat de licence et du contrat de fourniture.  Il ne s’est donc pas demandé si les droits et les avantages conférés par le contrat de licence constituaient une circonstance pertinente pour déterminer le prix de pleine concurrence approprié à payer pour se procurer de la ranitidine.

[13]                          Pour vérifier le caractère raisonnable des opérations de Glaxo Canada relatives à la ranitidine, le juge en chef adjoint Rip a utilisé la méthode du prix comparable sur le marché libre (la « méthode du PCML ») dont il est question dans une publication de l’Organisation de coopération et de développement économiques (« OCDE ») intitulée Prix de transfert et entreprises multinationales : Rapport du Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE (1979) (les « Principes de 1979 ») et la révision de ces principes publiée en 1995 par l’OCDE sous le titre Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (1995) (les « Principes  de 1995 »).  Il a estimé que le facteur de comparaison approprié était le prix le plus élevé payé pour la ranitidine par les fabricants de produits pharmaceutiques génériques à des fournisseurs avec lesquels ils n’avaient pas de lien de dépendance.  Suivant cette méthode, il a conclu que les prix payés par Glaxo Canada à Adechsa pour l’achat de la ranitidine étaient plus élevés que ceux qui auraient été raisonnables si ces deux sociétés n’avaient pas eu de lien de dépendance. Le juge a donc confirmé la nouvelle cotisation du ministre, sauf pour un ajustement à la hausse de 25 $ le kilogramme pour la granulation.

IV.    Cour d’appel fédérale, 2010 CAF 201 (CanLII) (les juges Nadon, Layden‑Stevenson et Stratas)

[14]                          Le juge Nadon, qui s’exprimait au nom d’une formation unanime, a conclu que la Cour de l’impôt avait commis une erreur en ne tenant pas compte du contrat de licence pour déterminer si les prix payés par Glaxo Canada pour la ranitidine étaient raisonnables au sens du par. 69(2).  Il a de plus affirmé que l’arrêt Singleton ne s’appliquait pas et que, pour déterminer le montant qui aurait été « raisonnable dans les circonstances », il fallait prendre en considération l’ensemble des circonstances dont un acheteur sans lien de dépendance aurait eu à tenir compte.  Se fondant sur la décision Gabco Ltd. c. Minister of National Revenue (1968), 68 D.T.C. 5210 (C. de l’É.), le juge Nadon a adopté le critère « de l’homme ou de la femme d’affaires raisonnable », critère qui commande l’examen des circonstances que l’acheteur sans lien de dépendance jugerait pertinentes pour décider du prix à payer (par. 69).  Il a conclu que le juge en chef adjoint Rip avait commis une erreur lorsqu’il avait calculé la « juste valeur marchande » de la ranitidine en se basant sur les sommes payées par les fabricants de produits pharmaceutiques génériques à des fournisseurs avec lesquels ils n’avaient aucun lien de dépendance.

[15]                          Après avoir décidé que l’arrêt Singleton n’empêchait pas d’examiner à la fois le contrat de fourniture et le contrat de licence ni d’appliquer le critère de « l’homme ou de la femme d’affaires raisonnable », le juge Nadon a conclu que le contrat de licence occupait une place centrale dans la réalité commerciale de Glaxo Canada et qu’il en serait ainsi même si Glaxo Canada n’avait pas de lien de dépendance avec Adechsa.  Le contrat de licence constituait donc une « circonstance » dont il fallait tenir compte pour déterminer si les prix payés par Glaxo Canada pour la ranitidine étaient raisonnables.  De l’avis du juge Nadon, la Cour de l’impôt avait commis une erreur en utilisant les prix d’achat payés pour la ranitidine par les fabricants de produits pharmaceutiques génériques pour déterminer si ceux payés par Glaxo Canada étaient raisonnables, étant donné que le contrat de licence créait une situation tout à fait différente dans le cas des opérations réalisées par Glaxo Canada.

[16]                          Le juge Nadon a toutefois conclu que le contribuable ne s’était pas entièrement acquitté du fardeau qui lui incombait, puisque le « montant raisonnable » n’avait pas encore été déterminé dans le cas des opérations effectuées par Glaxo Canada pour acquérir de la ranitidine.  Il a donc renvoyé l’affaire à la Cour de l’impôt pour réexamen.

V.     Analyse

A.     Établissement du prix de transfert dans la Loi de l’impôt sur le revenu 

[17]                          La première disposition législative fiscale canadienne concernant l’établissement du prix de transfert a été l’art. 23B de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, édictée par la Loi  modifiant la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.C. 1939, ch. 46, art. 13.  Cette disposition a été édictée de nouveau par le par. 17(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, puis par le par. 17(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148.  Le paragraphe 17(3) de la Loi de 1952 était presque identique au par. 69(2), lequel a été édicté pour la première fois en 1971 (S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 1) et a fait l’objet de modifications mineures en 1985 (L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .)).

[18]                          Voici le texte du par. 69(2) qui était en vigueur en 1985 et s’appliquait aux années 1990 à 1993 :

                           (2)  Lorsqu’un contribuable a payé ou est convenu de payer à une personne non‑résidente avec qui il avait un lien de dépendance, soit à titre de prix, loyer, redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l’usage ou la reproduction d’un bien, soit en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d’autres services, une somme supérieure au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non‑résidente et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance, ce montant raisonnable est réputé, pour le calcul du revenu du contribuable en vertu de la présente partie, correspondre à la somme ainsi payée ou payable.

[19]                          Eu égard aux faits de la présente affaire, il faut, pour l’application de cette disposition, se demander si les prix que Glaxo Canada a payés à Adechsa pour acquérir sa ranitidine étaient supérieurs au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si Adechsa et Glaxo Canada n’avaient eu aucun lien de dépendance.  La difficulté consiste à trouver une situation comparable où le vendeur n’aurait pas eu de lien de dépendance et où les circonstances correspondent le plus possible à celles de Glaxo Canada en ce qui concerne l’acquisition de ranitidine.

B.     Méthodes proposées par l’OCDE pour déterminer des prix de transfert raisonnables

[20]                          Devant les juridictions inférieures et devant notre Cour, on s’est référé aux Principes de 1979 et aux Principes de 1995 (les « Principes »).  Les Principes font état de méthodes de fixation du prix de transfert et de commentaires à cet égard.  Ils n’ont cependant pas la même force contraignante qu’une loi canadienne et, en dernière analyse, le critère à appliquer à un ensemble d’opérations ou de prix doit être établi suivant le par. 69(2) et non pas selon quelque commentaire ou méthode énoncé dans les Principes.

[21]                          Le paragraphe 69(2) ne donne pas en soi d’indications sur la façon de déterminer le « montant raisonnable » qui aurait été payable si les parties n’avaient eu aucun lien de dépendance.  En revanche, les Principes proposent un certain nombre de méthodes pour déterminer si des prix de transfert sont compatibles avec ceux dont ont convenu des parties n’ayant aucun lien de dépendance.

[22]                          Devant la Cour de l’impôt, les parties se sont fondées sur quatre méthodes proposées dans les Principes pour évaluer le caractère raisonnable des prix payés par Glaxo Canada à Adechsa.  Le ministre s’est appuyé sur la méthode du PCML et sur celle du prix de revient majoré (voir les Principes de 1979, par. 48 et 63).  Dans le cas de la méthode du PCML, on compare les prix payés dans le cadre d’opérations comparables réalisées par des parties sans lien de dépendance à ceux qu’a payés le contribuable faisant l’objet de la nouvelle cotisation.  Aux termes des Principes, il s’agit de la méthode la plus directe pour déterminer le prix de pleine concurrence.  C’est celle qu’a utilisée le ministre pour comparer les prix de transfert payés par Glaxo Canada à ceux payés par Apotex et par Novopharm.

[23]                          Les Principes de 1995 précisent toutefois qu’il faut étudier attentivement les opérations réalisées entre parties sans lien de dépendance pour s’assurer de leur comparabilité avec celles impliquant un prix de transfert.  Des opérations ne sont comparables que si l’une des conditions suivantes est remplie :

1.         Aucune différence (s’il en existe) entre les transactions faisant l’objet de la comparaison ou entre les entreprises effectuant ces transactions, n’est susceptible d’avoir une incidence sensible sur la marge sur le prix pratiqué sur le marché libre, ou

2.         des correctifs suffisamment exacts peuvent être apportés pour supprimer les effets matériels de ces différences.  (Voir les Principes de 1995, par. 1.15.)

[24]                          La méthode du prix de revient majoré est fondée sur le prix de revient du fournisseur étranger, majoré d’une marge bénéficiaire appropriée.  Les Principes de 1979 soulignent toutefois que « [l]es problèmes posés par cette méthode concernent le calcul des coûts [. . .] et la marge bénéficiaire normale » (par. 63).  On y mentionne qu’elle peut être utile pour vérifier des prix à la suite de l’application d’autres méthodes.  Le ministre a utilisé cette méthode du prix de revient majoré pour vérifier le bien-fondé des prix de pleine concurrence qu’il avait déterminés selon la méthode du PCML.

[25]                          Pour sa part, Glaxo Canada s’est fondée sur la méthode du prix de revente, sur la méthode transactionnelle de la marge nette et sur la méthode du PCML, en appliquant une série d’éléments de comparaison européens.  Comme il a été expliqué précédemment, la méthode du prix de revente part du prix demandé par le revendeur (Glaxo Canada) sur le marché pour le produit (Zantac).  Ce prix est ensuite réduit d’un montant correspondant aux frais et au bénéfice approprié du revendeur, c’est‑à‑dire à la marge bénéficiaire brute de ce dernier.  Le reste est considéré comme le prix de transfert du produit acheté au fournisseur non‑résident apparenté (Adechsa).  La marge bénéficiaire brute est ensuite comparée à celle réalisée par des revendeurs indépendants sans lien de dépendance.  On souligne dans les Principes de 1979 que cette méthode est particulièrement utile lorsqu’elle est appliquée à des opérations de commercialisation. Glaxo Canada a comparé sa marge bénéficiaire brute à celle des distributeurs européens indépendants de Zantac.

[26]                          La méthode transactionnelle de la marge nette consiste à déterminer, à partir d’une base — par exemple les coûts, les ventes ou l’actif , la marge bénéficiaire nette obtenue par le contribuable au titre d’une opération entre entreprises associées par référence à la marge bénéficiaire nette que le même contribuable réalise au titre d’opérations comparables sur le marché libre. Lorsque ce n’est pas possible, on peut tenir compte du bénéfice net par rapport aux coûts, aux ventes ou à l’actif d’une entreprise indépendante, à condition que la situation soit comparable et que des correctifs puissent être apportés en vue d’obtenir des résultats fiables.

[27]                          Dans son application de la méthode du PCML, Glaxo Canada a utilisé les prix payés par des distributeurs européens indépendants de Zantac, prix qui selon elle correspondaient en gros à ceux qu’elle avait payés à Adechsa.

C.     La méthode transactionnelle adoptée par la Cour de l’impôt

[28]                          Le juge en chef adjoint Rip a rejeté les éléments de preuve et les arguments présentés par Glaxo Canada.  Appliquant la méthode du PCML, il a comparé les prix payés par Glaxo Canada pour la ranitidine à ceux payés par des fabricants canadiens de produits génériques, et il a conclu que les prix les plus élevés payés par ces derniers avoisinaient 300 $ le kilogramme, alors que Glaxo Canada payait plus de 1 500 $ le kilogramme.

[29]                          Glaxo Canada avait soutenu que la comparaison avec les fabricants de médicaments génériques n’était pas pertinente.  Elle affirmait qu’il fallait tenir compte du contrat de licence, étant donné qu’il conférait certains droits et avantages liés à l’objet pour lequel elle avait acheté sa ranitidine.

[30]                          Le juge en chef adjoint Rip a toutefois conclu que l’arrêt Singleton l’empêchait de tenir compte du contrat de licence.  Sans le contrat de licence, il fallait considérer que les prix payés en application du contrat de fourniture visaient uniquement l’achat de la ranitidine.  Ce contrat ne prévoyait donc pas de contrepartie pour d’autres droits ou avantages.  Comme les prix payés par Glaxo Canada et les fabricants de médicaments génériques ne visaient dans les deux cas que la ranitidine, il n’existait entre ces opérations aucune différence susceptible de justifier l’établissement de prix de transfert plus élevés que ceux payés par Apotex et par Novopharm (abstraction faite des frais de granulation de 25 $ le kilogramme accordés à Glaxo Canada).

[31]                          La question à laquelle le juge en chef adjoint Rip devait répondre concernait l’établissement du prix raisonnable au sens du par. 69(2).  Pour ce faire, il était essentiel de décider si le contrat de licence était une circonstance dont il fallait tenir compte.

[32]                          Le ministre soutient que, conjugués aux Principes, les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Singleton et Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, requièrent l’application de la méthode transactionnelle, parfois appelée méthode transaction par transaction, pour déterminer le prix de transfert raisonnable au sens du par. 69(2).  Devant la Cour de l’impôt, le ministre a expliqué que, selon la méthode transaction par transaction, l’opération en litige doit être examinée indépendamment des circonstances de l’affaire, d’autres opérations ou d’autres réalités.  Devant notre Cour, il a fait valoir que [traduction] « chaque transfert doit être considéré comme une opération distincte » (m.a., par. 46).  En conséquence, le contrat de licence ne serait pas pertinent.

                    (1)   Singleton

[33]                          Le ministre soutient que les arrêts Singleton et Shell, qui portaient sur l’application du sous‑al. 20(1)c)(i) de la Loi , permettent d’affirmer que le par. 69(2) exige l’application de la méthode transaction par transaction.  L’affaire Singleton concernait la possibilité pour un contribuable de déduire de son revenu, en vertu du sous‑al. 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu , des intérêts payés et payables sur de l’argent emprunté.  Le contribuable en question avait utilisé une partie des fonds du compte de capital qu’il possédait dans son cabinet d’avocats pour financer l’achat d’une maison.  Il avait par la suite emprunté de l’argent pour remplacer les sommes qu’il avait retirées de son compte de capital.  La seule question en litige était celle de savoir si l’argent emprunté avait été « utilisé en vue de tirer un revenu ». Notre Cour a conclu que l’argent emprunté avait été utilisé pour être investi dans le cabinet d’avocats en vue de tirer un revenu et que, par conséquent, les intérêts payables sur ce prêt étaient déductibles sur le plan fiscal.  Le fait que le contribuable avait contracté l’emprunt en vue d’utiliser son avoir dans le cabinet d’avocats pour acheter une maison n’était pas pertinent pour déterminer l’utilisation de l’argent emprunté.  Il serait erroné, pour l’application du sous‑al. 20(1)c)(i), de considérer comme un tout l’opération par laquelle le contribuable avait retiré de l’argent qu’il possédait dans le cabinet d’avocats pour acheter une maison et le prêt qu’il avait contracté pour renflouer le compte en capital de ce même cabinet.  Ce serait l’obligation de considérer les deux opérations séparément qui a amené le juge en chef adjoint Rip à déclarer, au par. 78, que le par. 69(2) commandait que le contrat de fourniture et le contrat de licence soient considérés séparément.

[34]                          En toute déférence, le raisonnement suivi par le juge de la Cour de l’impôt et l’argument présenté par le ministre font abstraction de la différence qui existe entre le sous‑al. 20(1)c)(i) et le par. 69(2).  La première disposition n’a pas pour effet d’autoriser le tribunal à s’interroger sur autre chose que l’utilisation qui a été faite de l’argent emprunté.  La question de fait à trancher consiste simplement à se demander si l’argent emprunté a servi ou non à tirer un revenu.

[35]                          La question à laquelle il faut répondre pour l’application du sous‑al. 20(1)c)(i) n’est pas de savoir s’il est déraisonnable de réclamer la déduction d’intérêts; cette disposition n’exige pas non plus que le tribunal compare des opérations pour décider si la déduction est raisonnable.  En revanche, le par. 69(2) oblige le tribunal à déterminer si le prix de transfert était supérieur au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si les parties n’avaient eu aucun lien de dépendance entre elles.  S’il existe des opérations autres que l’achat qui sont pertinentes pour trancher cette question, elles ne doivent pas être négligées.

                    (2)   Shell

[36]                          Dans l’affaire Shell, le litige portait aussi sur le sous-al. 20(1)c)(i).  Là encore, il s’agissait de déterminer si l’argent emprunté avait servi à tirer un revenu.  Le contribuable avait emprunté 150 millions de dollars en devises de la Nouvelle‑Zélande à un taux d’intérêt de 15,4 p. 100, puis converti ces fonds en devises américaines, qui avaient ensuite été utilisées à des fins commerciales. Par une série d’opérations en devises étrangères tablant sur la dépréciation de la devise néo‑zélandaise pendant la durée du prêt, Shell avait réussi à ramener son taux d’intérêt réel à 9,1 p. 100, tout en continuant à réclamer une déduction d’impôt sur le revenu en fonction du taux d’intérêt de 15,4 p. 100 applicable à l’opération initiale.

[37]                          Dans Shell, tout comme dans Singleton, il s’agissait de décider si, à la suite de sa conversion en dollars américains, l’argent emprunté pouvait à juste titre être considéré comme ayant été utilisé en vue de tirer un revenu.  La Cour a conclu qu’il importait peu que les fonds aient été convertis en devises américaines dans le cadre d’un montage fiscal complexe.  Le ministre ne pouvait procéder à une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable.

[38]                          La situation est radicalement différente dans le cas du par. 69(2). Cette disposition requiert en effet que le prix établi lors d’une opération de transfert avec lien de dépendance soit fixé à nouveau, comme si cette opération avait été conclue par des parties sans lien de dépendance.  Si les circonstances l’exigent, d’autres opérations que les opérations d’achat pourraient devoir être prises en compte afin de déterminer si le prix effectivement payé était ou non supérieur au montant qui aurait été raisonnable si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance.  L’arrêt Shell ne s’applique donc pas pour trancher un litige fondé sur le par. 69(2).

                    (3)     Les Principes n’exigent pas l’application de la méthode transaction par transaction

[39]                          Le ministre a aussi invoqué le passage suivant du par. 1.42 des Principes de 1995 pour justifier le recours à la méthode transaction par transaction :

                           En théorie, pour se rapprocher le plus possible de la juste valeur du marché, le principe de pleine concurrence doit être appliqué transaction par transaction.

Suivant le ministre, le par. 1.42 oblige le tribunal à se concentrer uniquement sur l’opération en cause, de sorte que le contrat de licence ne saurait influer sur l’évaluation du caractère raisonnable des prix payés pour la ranitidine aux termes du contrat de fourniture.

[40]                          Le paragraphe 1.42 n’est toutefois pas aussi restrictif que le prétend le ministre.  En effet, il prévoit également ce qui suit :

                    . . . bien souvent des transactions distinctes sont si étroitement liées ou continues qu’il n’est pas possible de se prononcer correctement sans les prendre en compte dans leur ensemble.

En conséquence, bien que la méthode transaction par transaction puisse en théorie être la méthode idéale, les Principes de 1995 reconnaissent eux‑mêmes qu’elle ne convient pas dans tous les cas.

[41]                          En outre, l’énoncé général figurant au par. 1.15 des Principes de 1995 relativement au principe de pleine concurrence donne lui aussi des indications sur les situations dans lesquelles il convient de tenir compte d’opérations liées :

                           L’application du principe de pleine concurrence se fonde généralement sur une comparaison entre les conditions pratiquées pour une transaction entre entreprises associées et celles pratiquées pour une transaction entre entreprises indépendantes.  Pour qu’une telle comparaison soit significative, il faut que les caractéristiques économiques des situations prises en compte soient suffisamment comparables.  Cela signifie qu’il ne doit pas y avoir de différences entre les situations comparées pouvant notablement influer sur l’élément examiné du point de vue méthodologique (par exemple le prix ou la marge bénéficiaire) ou si des correctifs suffisamment fiables peuvent être utilisés pour éliminer l’incidence de telles différences.  [Je souligne.]

[42]                          Par conséquent, suivant les Principes de 1995, pour bien appliquer le principe de pleine concurrence, il est nécessaire de tenir compte des « caractéristiques économiques » des opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance pour s’assurer que ces caractéristiques sont « suffisamment comparables ».  Lorsqu’il n’y a pas d’opération liée, ou lorsque les opérations liées ne sont pas pertinentes dans la détermination du caractère raisonnable du prix en cause, la méthode transaction par transaction peut convenir.  Toutefois, « les caractéristiques économiques des situations prises en compte » peuvent rendre nécessaire l’examen d’autres opérations ayant une incidence sur le prix de transfert en cause.  Dans chaque cas, il est nécessaire d’aborder cette question à la lumière des circonstances pertinentes.

D.    Le contrat de licence est pertinent dans les circonstances

[43]                          En toute déférence et pour les motifs que je viens d’exposer, le juge en chef adjoint Rip a fait erreur en concluant qu’il n’était pas autorisé à tenir compte du contrat de licence.  Cependant, même si rien ne s’opposait à la prise en considération de ce contrat, il faut néanmoins se demander si le juge aurait dû le faire.

[44]                          Comme le par. 69(2) exige que le tribunal s’interroge sur le prix qui aurait été raisonnable dans les circonstances si le fournisseur non‑résident et le contribuable canadien n’avaient eu aucun lien de dépendance entre eux, son application suppose nécessairement l’examen de toutes les circonstances relatives au contribuable canadien qui sont pertinentes à l’égard du prix payé par ce dernier au fournisseur non‑résident.  Parmi ces circonstances, mentionnons les ententes susceptibles de conférer des droits et des avantages en sus du bien acheté, lorsque ces ententes sont liées au contrat d’achat.  L’objectif de cet examen consiste à déterminer ce qu’un acheteur sans lien de dépendance paierait à la fois pour le bien et pour de tels droits et avantages lorsqu’il existe un lien entre ceux-ci et le prix payé pour le bien en question.

[45]                          Glaxo Canada exerçait des activités de fabrication et de commercialisation secondaires de produits pharmaceutiques d’origine, dont le Zantac. Elle menait aussi des activités de recherche et de développement, bien que rien n’indique que ces activités concernaient le Zantac.  C’est donc dans le contexte de cette réalité commerciale qu’il faut examiner les achats de ranitidine effectués par Glaxo Canada.

[46]                          Le juge en chef adjoint Rip a conclu, au par. 86, qu’« aux termes du contrat de licence, l’appelante était tenue d’acheter sa ranitidine de sources approuvées par Glaxo ».  Les parties n’ont pas contesté cette conclusion.

[47]                          Or, il n’existait que deux sources approuvées, dont l’une était Adechsa. En conséquence, pour être en mesure de se prévaloir des avantages conférés par le contrat de licence, Glaxo avait l’obligation de se procurer l’ingrédient actif auprès de l’une ou l’autre de ces sources.  Cette obligation ne résultait pas des liens de dépendance existant entre Glaxo Canada et le groupe Glaxo ou Adechsa, mais plutôt du contrôle que le groupe Glaxo exerçait sur la marque de commerce et le brevet relatifs au produit pharmaceutique d’origine que Glaxo Canada souhaitait commercialiser.  Tout distributeur sans lien de dépendance qui souhaiterait commercialiser le Zantac pourrait fort bien être astreint à la même obligation.

[48]                          Vu le lien entre le contrat de licence et le contrat de fourniture, les entités qui souhaitaient commercialiser le Zantac étaient assujetties à des modalités contractuelles ayant une incidence sur le prix de la ranitidine, modalités auxquelles les distributeurs de produits génériques à base de ranitidine n’étaient pour leur part pas soumis.

[49]                          Par conséquent, le bénéfice des droits et des avantages conférés par le contrat de licence dépendait de la signature, par Glaxo Canada, d’un contrat de fourniture avec des fournisseurs désignés par le groupe Glaxo.  Le prix payé avait pour effet d’accorder à Glaxo Canada une contrepartie que le groupe Glaxo estimait être appropriée pour les fonctions de fabrication et de commercialisation secondaires exercées par Glaxo Canada relativement à la ranitidine et au Zantac.

[50]                          Il semble que le juge en chef adjoint Rip ait été préoccupé par le fait qu’une entreprise multinationale pourrait éviter, en obligeant une filiale canadienne à se procurer un produit auprès d’un fournisseur déterminé, que ses prix soient mesurés par rapport à des prix de pleine concurrence (par. 89).  Cependant, tout prix fixé par le groupe Glaxo aurait été assujetti au par. 69(2) et à l’obligation que les opérations impliquant des prix de transfert soient mesurées par rapport à des opérations conclues entre des parties n’ayant aucun lien de dépendance.

[51]                          En conséquence, il semble qu’une partie des prix d’achat versés à Adechsa pour la ranitidine servait de contrepartie pour au moins certains des droits et avantages conférés par le contrat de licence.  Parce que les prix payés à Adechsa visaient donc en partie à compenser le groupe Glaxo pour les droits et les avantages conférés à Glaxo Canada par le contrat de licence, le tribunal ne pouvait faire abstraction de ce contrat lorsqu’il déterminait le montant raisonnable qui devait être payé à Adechsa au sens du par. 69(2), lequel s’applique non seulement aux paiements faits pour des biens mais également à ceux faits pour des services.

[52]                          L’examen corrélatif du contrat de licence et du contrat de fourniture permet de brosser un tableau réaliste des bénéfices réalisés par Glaxo Canada.  Le fait que cette dernière agissait principalement comme fabricant et distributeur secondaires n’est pas sans pertinence.  Glaxo Canada ne créait pas de nouveaux produits et n’était pas l’origine des droits de propriété intellectuelle associés à de tels produits.  Elle ne faisait pas les investissements requis pour la création de nouveaux produits et ne courait pas les risques liés à ces activités.  Elle n’assumait pas non plus les autres risques et frais d’investissement que le groupe Glaxo avait pris à sa charge aux termes du contrat de licence.  Les prix payés par Glaxo Canada à Adechsa l’étaient en contrepartie d’un ensemble de choses, à savoir au moins un certain nombre de droits et avantages prévus par le contrat de licence et le produit visé par le contrat de fourniture.

[53]                          À l’instar de la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis que le juge en chef adjoint Rip a commis une erreur en refusant de tenir compte du contrat de licence. C’est ce refus qui l’a amené à conclure que les prix payés par les fabricants de produits pharmaceutiques génériques pour la ranitidine constituaient des éléments comparables pour l’application de la méthode du PCML.  Toutefois, les comparaisons faites avec de tels fabricants ne correspondent pas à la réalité économique et commerciale de Glaxo Canada et, à tout le moins à défaut d’ajustements, ne permettent pas de déterminer les prix qui auraient été raisonnables dans les circonstances si Glaxo Canada et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[54]                          Je souscris également à la conclusion du juge d’appel Nadon selon laquelle « la somme qui aurait été raisonnable dans les circonstances » si l’appelante et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance  reste à déterminer (par. 79).  Pour ce faire, il faudra examiner attentivement les modalités du contrat de licence ainsi que les droits et les avantages conférés à Glaxo Canada par ce contrat.

[55]                          Toutefois, en ce qui concerne les redevances, je tiens à signaler que le contrat de licence prévoit expressément ce qui suit à l’article 11(1)b) :

                    [traduction]

                    (ii)   pour le cas où Glaxo Canada achète des matières premières ou un Produit en vrac ou fini au GROUPE ou à une entreprise associée, les parties conviennent expressément qu’aucune redevance n’est payable par Glaxo Canada au titre de l’importation de ces matières ou Produit et que des redevances ne sont payables que sur les ventes nettes par GLAXO CANADA du Produit sur le territoire;

                    (iii)  Glaxo Canada n’est pas tenue de payer quelque redevance ou droit de licence que ce soit comme condition de la vente à Glaxo Canada, par le Groupe ou par ses entreprises associées, d’une marchandise à exporter sur le territoire, et le prix de cette marchandise doit être établi conformément à un accord distinct conclu par les parties indépendamment des redevances payables au titre des présentes [ainsi qu’il est prévu au paragraphe 7(1)];

                    (iv)  des redevances ne sont payables par Glaxo Canada que sur ses ventes de Produits et non au titre de la fabrication ou de l’utilisation par elle des Produits; [Texte entre crochets dans l’original.]

[56]                          Dans ses actes de procédure devant la Cour de l’impôt, Glaxo Canada n’a invoqué ni l’al. 212(1)d) ni le par. 215(1)  de la Loi , lesquels prévoient, dans le premier cas, l’impôt payable par les non‑résidents sur les redevances ou paiements semblables qui leur sont faits en vue d’obtenir le droit d’utiliser un brevet ou une marque de commerce au Canada, et, dans le second cas, les retenues fiscales qui doivent être faites au nom des non‑résidents.  Il n’y a aucune preuve indiquant que Glaxo Canada a retenu, sur les paiements effectués à Adechsa au titre des prix d’achat, quelque somme que ce soit à l’égard de redevances versées en vue d’utiliser, ou d’obtenir le droit d’utiliser, le brevet relatif à la ranitidine ou la marque de commerce Zantac.

[57]                          Bien que j’aie dit précédemment qu’il semble exister un lien entre le prix d’achat et certains des droits et avantages conférés par le contrat de licence, je ne me prononce pas dans les présents motifs sur la question de savoir si les droits découlant du brevet relatif à la ranitidine qui sont concédés à Glaxo Canada pour l’autoriser à fabriquer et à vendre du Zantac, ainsi que le droit exclusif d’utiliser la marque de commerce Zantac, sont liés ou non au prix d’achat payé par Glaxo Canada à Adechsa.  Il est cependant permis de soutenir que, si ce prix d’achat comprend une contrepartie pour les droits accordés à Glaxo Canada en matière de propriété intellectuelle, il faudrait alors que la position de cette dernière à l’égard de la retenue fiscale prévue à la partie XIII soit compatible avec une telle conclusion.  Cette question n’a pas été explicitement débattue devant notre Cour.  Elle pourra l’être par les parties devant la Cour de l’impôt, et le juge de cette cour pourra en tenir compte lorsqu’il déterminera si certains droits et avantages précis conférés à Glaxo Canada aux termes du contrat de licence sont liés au prix payé à Adechsa pour la ranitidine.

[58]                          Quoi qu’il en soit, les droits et les avantages conférés par le contrat de licence dont il est question au par. 7 des présents motifs ne se limitent pas aux droits accordés à Glaxo Canada par le brevet et la marque de commerce.  Par exemple, il semble que l’accès garanti à de nouveaux produits, le droit d’être approvisionnée en matières premières et produits en vrac, l’appui à la commercialisation et l’assistance technique pour établir de nouvelles gammes de produits revêtent tous une certaine valeur.

[59]                          En outre, bien que, comme a conclu le juge en chef adjoint Rip, la ranitidine générique est chimiquement équivalente et bioéquivalente à la ranitidine de Glaxo Canada, il a également reconnu une certaine valeur au fait que la ranitidine d’Adechsa fabriquée conformément aux « bonnes pratiques de fabrication » du groupe Glaxo était susceptible de « conférer un certain degré d’assurance en ce qui concerne le fait que la marchandise renferme fort peu d’impuretés et qu’elle est fabriquée d’une façon responsable » (par. 118).  On peut supposer que le prix plus élevé du Zantac par rapport à celui des produits génériques s’explique, en partie du moins, par ce « degré d’assurance » mentionné par le juge en chef adjoint Rip.

[60]                          Ces diverses caractéristiques du contrat de licence et de l’obligation d’acheter de sources approuvées par Glaxo sont autant d’aspects qui ajoutent à la valeur de la ranitidine achetée par Glaxo Canada à Adechsa par rapport à celle de la ranitidine générique, laquelle n’est pas assortie de tels droits et avantages.  Ces caractéristiques devraient se voir accorder une certaine considération dans la détermination du prix qu’un acheteur sans lien de dépendance serait disposé à payer pour obtenir les mêmes droits et avantages et pour se procurer de la ranitidine auprès d’une source approuvée par le groupe Glaxo.  C’est uniquement après avoir dégagé les circonstances relatives au contrat de licence qui peuvent être rattachées au contrat de fourniture que des comparaisons au regard de situations de libre concurrence peuvent être effectuées au moyen de l’une ou l’autre des méthodes proposées par l’OCDE, ou de toute autre méthode.

[61]                          J’aimerais formuler les indications additionnelles suivantes en vue du réexamen de la question.  Premièrement, le par. 69(2) emploie les mots « montant raisonnable », expression qui reflète le fait que, pour reprendre les mots mêmes des Principes de 1995, « la fixation de prix de transfert n’est pas une science exacte » (par. 1.45).  Il y a peu de chances que dans pratiquement tous les cas, les situations comparables retenues soient identiques à tous égards.  Il convient donc de laisser place à une certaine latitude dans la détermination du montant raisonnable.  Dès lors que le prix de transfert se situe à l’intérieur de ce que le tribunal estime être une fourchette raisonnable, les conditions prévues au par. 69(2) seraient respectées. Dans le cas contraire, le tribunal pourrait retenir, à l’intérieur de cette fourchette, un montant qu’il considère raisonnable dans les circonstances en appliquant une mesure statistique appropriée — par exemple une moyenne, une médiane ou une valeur modale —, eu égard aux éléments de preuve qu’il a jugé pertinents.  Je tiens à réitérer que comme il est fort peu probable que, quelle que soit la situation comparable choisie, celle-ci présente des circonstances identiques, le juge de la Cour de l’impôt devra exercer un jugement éclairé pour établir un prix de pleine concurrence satisfaisant.

[62]                          Deuxièmement, bien que l’appréciation de la preuve relève du juge de première instance, je soulignerai qu’il ne faut pas perdre de vue les fonctions et les rôles respectifs de Glaxo Canada et du groupe Glaxo.  La première exerçait des activités de fabrication et de commercialisation secondaires du Zantac.  Le second, auquel appartiennent les droits de propriété intellectuelle, accordait d’autres droits et avantages à Glaxo Canada.  La détermination du prix de transfert ne devrait pas se traduire par une mauvaise répartition des gains, qui ne tiendrait pas compte de ces différentes fonctions ainsi que des ressources et des risques inhérents à chacune. Comme il a été mentionné précédemment, c’est au juge de la Cour de l’impôt qu’il appartiendra de décider s’il est justifié ou non en l’espèce de reconnaître l’existence d’une contrepartie pour les droits de propriété intellectuelle.

[63]                          Troisièmement, les prix fixés par des parties n’ayant pas de lien de dépendance seront établis eu égard aux intérêts propres de chacune des parties à l’opération.  Il s’ensuit qu’il faut tenir compte à la fois des intérêts du groupe Glaxo et de ceux de Glaxo Canada.  Le calcul qui sera effectué conformément au critère de l’absence de lien de dépendance prévu au par. 69(2) devrait refléter ces réalités.

[64]                          Quatrièmement, il existe en l’espèce certains éléments de preuve tendant à indiquer que des distributeurs sans lien de dépendance ont estimé qu’il était dans leur intérêt de se procurer leur ranitidine auprès de l’un des fournisseurs du groupe Glaxo plutôt que de sources de produits génériques.  Ce fait donne à penser que des prix de transfert plus élevés que ceux de produits génériques sont justifiés et ne sont pas forcément supérieurs au montant raisonnable visé au par. 69(2).

[65]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et, pour les motifs qui suivent, de rejeter également le pourvoi incident et de renvoyer l’affaire au juge en chef adjoint Rip (maintenant juge en chef) pour réexamen.

VI.    Le pourvoi incident

[66]                          Glaxo Canada a formé un pourvoi incident dans lequel elle soutient que la décision de la Cour d’appel fédérale de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt pour réexamen devrait être infirmée.  Elle demande à notre Cour d’annuler la nouvelle cotisation au motif que, ayant [traduction] « démoli » les hypothèses du ministre, elle s’est acquittée du fardeau qui lui incombait en tant que contribuable.

[67]                          La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire à la Cour de l’impôt au motif que Glaxo Canada ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les prix qu’elle avait payés à Adechsa pour la ranitidine étaient raisonnables au sens du par. 69(2) :

                           Je conclus donc que le juge a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer « la somme qui aurait été raisonnable dans les circonstances » si l’appelante et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance.  L’avocat de l’appelante a fait valoir que, pour le cas où nous serions d’accord avec lui pour dire que le juge a commis une erreur en ne tenant pas compte du contrat de licence, nous devrions ensuite déterminer ce qui constitue « la somme raisonnable ».  À mon avis, il incombait non pas à nous mais au juge, qui a entendu les parties pendant plus d’une quarantaine de jours, de tirer cette conclusion.  [par. 82] 

La Cour d’appel fédérale a refusé de procéder à une telle détermination, expliquant qu’elle n’était pas en mesure de dire si le dossier était suffisant à cet égard.  Elle a renvoyé l’affaire au juge de la Cour de l’impôt pour qu’il décide si la détermination pouvait être effectuée à la lumière du dossier existant ou si des éléments de preuve supplémentaires étaient nécessaires.

[68]                          Glaxo Canada prétend que, comme le choix par le ministre d’opérations réalisées par des sociétés pharmaceutiques fabriquant des produits génériques comme situations comparables est à la base de la cotisation qu’il a établie, il lui incombait uniquement de démontrer que ces opérations ne constituaient pas le bon élément de comparaison.  De l’avis de Glaxo Canada, si le tribunal conclut en ce sens, elle aura démoli le fondement de la cotisation et se sera ainsi acquittée de son fardeau de preuve.

[69]                          Le ministre affirme de son côté que le fondement de la cotisation est sa conclusion que les prix payés par Glaxo Canada pour la ranitidine n’étaient pas raisonnables.  Sa décision de choisir des fabricants de produits génériques comme élément de comparaison était simplement un moyen qu’il avait retenu pour démontrer le caractère déraisonnable des prix.

[70]                          Le fondement de la cotisation se trouve dans les hypothèses formulées par le ministre dans sa Réponse modifiée à l’Avis d’appel modifié de Glaxo Canada.  Voici les hypothèses 14p) et r.A) :

[traduction]

                    p)    l’Appelante a payé à Adechsa, avec qui elle avait un lien de dépendance, un prix pour la ranitidine qui était supérieur au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si l’Appelante et Adechsa n’avaient eu aucun lien de dépendance;

                    r.A) les sommes payées par l’Appelante à Adechsa en sus des prix payés par d’autres sociétés pharmaceutiques canadiennes (ainsi qu’il est précisé à l’annexe A ci‑jointe) n’étaient pas versées pour la ranitidine fournie;

[71]                          Glaxo Canada soutient en fait que l’hypothèse 14r.A) constitue le seul fondement de la cotisation et qu’elle a démoli cette hypothèse. Le ministre affirme pour sa part que l’hypothèse 14p) est le fondement de la cotisation. Le texte des hypothèses étaye la position du ministre. Dans le cas qui nous occupe, l’hypothèse 14p) énonce la disposition législative sur laquelle repose la nouvelle cotisation, qu’elle fait carrément relever du par. 69(2).  L’obligation du contribuable est régie par la Loi et le ministre tient son pouvoir d’établir une nouvelle cotisation d’une ou de plusieurs dispositions particulières de celle-ci.

[72]                          Dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la juge L’Heureux‑Dubé affirme que le fardeau du contribuable « consiste [. . .] à “démolir” les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus » (par. 92 (soulignements omis)).  En l’espèce, on peut sans crainte affirmer que l’hypothèse 14r.A) du ministre selon laquelle les prix payés par Apotex et par Novopharm constituent, sans ajustement, des opérations comparables pour l’application de la méthode du PCML a effectivement été démolie.  Par contre, l’hypothèse 14p) ne l’a pas été.

[73]                          D’ailleurs, devant la Cour de l’impôt, Glaxo Canada a tenté de démontrer le caractère raisonnable des prix qu’elle avait payés, mais le juge de la Cour de l’impôt n’a pas retenu les éléments de preuve ni les arguments qu’elle avait présentés.  En d’autres termes, Glaxo Canada a accepté qu’il lui incombait de démontrer que les prix qu’elle avait payés étaient raisonnables au sens du par. 69(2).  Si elle avait réussi à le faire, l’hypothèse 14p) ainsi que l’hypothèse 14r.A) auraient toutes les deux été démolies.

[74]                          Pour l’heure, l’hypothèse suivant laquelle les prix que Glaxo Canada a payés pour se procurer de la ranitidine étaient plus élevés que ceux qui auraient été raisonnables dans les circonstances si Adechsa et elle n’avaient pas eu de lien de dépendance entre elles n’a pas été démolie.  Par conséquent, l’hypothèse 14p) tient toujours.

[75]                          Devant la Cour d’appel fédérale, Glaxo Canada a fait valoir que celle-ci pouvait déterminer « le montant raisonnable ».  Si la Cour d’appel fédérale pouvait déterminer le montant raisonnable, je ne vois pas pourquoi elle ne pouvait pas renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt pour qu’elle se prononce sur cette question précise.

[76]                          À l’instar de la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt pour qu’elle réexamine la question en tenant compte de l’incidence du contrat de licence sur les prix payés par Glaxo Canada pour se procurer de la ranitidine auprès d’Adechsa.  Le juge de la Cour de l’impôt devrait examiner les nouveaux éléments de preuve que les parties demanderont à lui présenter et qu’il voudra recevoir.

VII.  Conclusion

[77]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant toutes les cours, de rejeter le pourvoi incident avec dépens devant notre Cour et de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt pour réexamen.

 

                    Pourvoi et pourvoi incident rejetés avec dépens.

                    Procureur de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Procureur général du Canada, Ottawa.

                    Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

 

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